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Amis du Musée de Valenciennes
13 janvier 2022

Un pèlerin du XIX° siècle vers St. Jacques de Compostelle, par Charles-Henri MASSON

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Un Pèlerin d’autrefois...  1830

Venant de sa Flandre lointaine, rompu par quatre mois de marche éprouvante, Joos arrive enfin au hameau de Lavacolla. 

Là, traditionnellement, comme tout bon pèlerin avant lui, Joos descend faire toilette, récurer son corps et laver ses vêtements dans le rio Lavamentula; il tient à être présentable, tout à l’heure, quand il sera devant la chasse de l’apôtre Jacques.

Tout propret, rafraichi, le jeune homme arrive une heure plus tard au Monte del Gozo, le mont de la joie, ultime étape galicienne avant Santiago de Compostella.

Posant sa besace, il observe longuement la vallée ; soudain, tout là-bas, dans le tremblement de la brume, il devine puis perçoit les flèches de la cathédrale de Santiago.

Oubliant toute fatigue, tous les maux, tous les tourments qui avaient brisé son corps durant ces longs mois d’errance, envahi d’un enthousiasme de jeunesse, il soulève sac et bâton et dévale fougueusement la colline en chantant à pleine voix les louanges du Seigneur.

Une lieue plus loin, le voilà place de l’Obradoiro, juste en face de la magnifique façade baroque de la cathédrale.

Tout essoufflé, il pose genou en terre, étend les bras en croix, les yeux extasiés, la poitrine soulevée par une émotion intense, il remercie la providence d’être arrivé au terme de sa pérégrination, le corps épargné.

Le jeune homme attend que le souffle s’assagisse ; puis il se lève, rajuste sa chemise, frotte la poussière collée au genou ; il ôte son chapeau noir, peigne de ses doigts ouverts ses longs cheveux clairs, franchit le porche de gloire et entre dans la cathédrale.

Sa première vision plonge dans une multitude de petites lumières clignant dans la pénombre, comme braises dans cendrée; ses yeux s’habituent doucement à l’obscurité ; il pratique alors le rituel raconté  autrefois par les jacquets de son pays: frapper de son front le pied de la statue ‘O Santo d’os Croques’ (le saint aux bosses) ; sur la colonne de marbre sculpté de l’arbre de Jessé,   faire glisser les cinq doigts ouverts dans les ravines creusées dans le marbre par les milliers d’autres mains avant lui ; enfin, il se signe lentement et entre plus avant.

La magnificence du lieu hésite avant d’envahir l’âme simple du jeune paysan.

Impressionné, Joos avance lentement sur les dalles noires.

L’or figé des retables envie la pépite d’or qui palpite au fond de son cœur.

La lumière noyée dans l’œil du gueux de Dieu compose avec la pénombre inondant la nef immense ; les douces notes de l’orgue en sourdine soutiennent les sourds battements qui cognent dans sa poitrine ; son regard s’émerveille d’un crucifix d’argent ciselé, s’amuse d’un tableau représentant le dénombrement de Bethléem, s’émeut devant une gracieuse statue de la vierge Marie.

Sa pensée, dépaysée, vagabonde comme une feuille de novembre valsant au bras du vent d’hiver.

Il aperçoit maintenant, placée au-dessus du chœur, la statue de Saint-Jacques dont le visage aimable semble lui souhaiter la bienvenue.

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Il gagne l’estrade, emprunte un escalier étroit, monte jusqu’à une plate-forme disposée derrière la statue de l’apôtre.

Joos s’arrête un instant ; très ému, il enlace le corps couvert d’une pèlerine d’argent ; fermant les yeux, il prononce la phrase rituelle : Ami, recommande-moi à Dieu.

Son cœur bourdonne et de joie et d’émotion.

De son promontoire, Joos embrasse l’ensemble de la cathédrale ; soudain, dans la foule des pèlerins, il reconnaît Gustaaf, un ‘Pays’ avançant sans façon, grignotant une pomme, besace au dos et bâton balancé à la main ; Joos descend prestement de l’estrade et accueille son camarade avec effusion ; accolade, joie partagée, claques dans le dos, rires retenus, échanges d’anecdotes puis.....

L’orgue, tout en puissance, annonce le début de la messe.

La richesse des ornements sacerdotaux, les ciboires d’or sertis de pierreries, le calice en vermeil ciselé, les rutilants encensoirs de cuivre, les lourds candélabres, les somptueux lustres aux légères pampilles de cristal, le ballet des enfants de chœur en soutane rouge et surplis froncé, les prêtres ouvrant les bras, l’archevêque mitré, figé sur son trône de velours cramoisi, les céroféraires encadrant l’officiant, toute cette pompe, cette magnificence, cet ordonnancement parfait les laisse pantois.

À la vanité de ces fastes, ils préfèrent la sobre vêture brune des moines franciscains ; debout devant leurs stalles de bois, ils tiennent pieusement le missel à hauteur des yeux, tournent ensemble de l’index humecté, la page frangée d’un liseré doré.

Chez nos deux compères, chaque jour de marche et de prière avait raboté un copeau de leur quotidien et le remplaçait par une esquille de spiritualité.

À chacun de leur pas, imperceptiblement, l’homme nouveau renaissait.

Et comme chaque goutte de pluie change en eau limpide l’eau fangeuse d’une ornière, quatre mois de prière avaient changé leur pesante religion d’habitude en une foi vive, lumineuse, enthousiaste.

La patenôtre balbutiée s’est muée en Notre-Père proféré.

Le Bondieu des familles est redevenu NOTRE-SEIGNEUR.

Le signe de croix machinal est réhabilité en signe de croix noblement construit.

En chemin, l’idée qu’ils avaient de Dieu avait pris une dimension nouvelle, extraordinaire, soutenue par la grandeur, la diversité, la beauté de la création.

Ils savent maintenant que la pensée humaine ne peut appréhender l’Incommensurable. Ici, un peu décontenancé, les deux amis souhaiteraient dire simplement une prière qui viendrait du fond de leur cœur brûlant ; les chants entendus ici leurs sont étrangers et leurs oreilles ne sont pas encore instruites de la beauté des voix mêlées ; quant au cérémonial quelque peu théâtral, les cortèges chamarrés, la musique triomphante leur rappelle l’exubérance colorée et bruyante des fêtes votives flamandes. 

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Mais à l’étonnement, à l’émerveillement et à la surprise va succéder l’incroyable.

Entrent cinq personnages en robe de bure ceinte d’une cordelette de chanvre.

Ils se placent au milieu du transept ; les yeux levés, ils regardent descendre, fixé au bout d’une corde grise, un énorme encensoir d’argent, le fameux, l’incroyable, le magnifique BOTAFUMERO.

Le couvercle soulevé, un marguillier embrase la résine d’encens avec un tison ardent ; une légère fumée odorante s’enfuit aussitôt vers les hauteurs de l’édifice ; aussitôt, les cinq hommes se saisissent de la cage brillante, la lance vigoureusement dans l’espace, puis à l’aide des cinq élingues fixées à la lourde corde maitresse, ils ordonnent un balancement qui bientôt va faire voyager d’une voute à l’autre, l’énorme boite odoriférante.

Nos deux pèlerins époustouflés suivent l’extraordinaire voyage aérien de la boule de métal exhalant un nuage boursoufflé de fumée parfumée.

Les fortes odeurs de cire fondue, de vêtements confits de sueur, de pèlerines moisies par de vieilles pluies, de chaussures fatiguées par des milliers de pas, toutes ces odeurs sauvages et primitives sont masquées un instant par les effluves embaumées de la combustion orientale.

À bout de souffle, l’encensoir géant ralentit sa course et termine sa dernière évolution dans les bras levés de nos cinq hommes au sombre accoutrement.

Puis, pour l’arrêter complètement, ils lui font faire un demi-tour, gracieux comme un pas de danse

L’orgue se tait, les officiants regagnent la sacristie en colonnes ordonnées.

Deux enfants de chœur ferment la grille du chevet.

Alors le silence envahit la place.

Soulagés, nos deux pèlerins troublés par tant de fastes, redescendent sur terre.

Ils se regardent et sans un mot s’agenouillent, ferment les yeux et s’abîment dans une profonde prière.

Doucement, imperceptiblement, l’amour de Dieu envahira leur âme, embrasera leur cœur.

Après une longue période d’oraison intérieure, Joos et Gustaaf descendent dans la crypte sacrée où repose l’apôtre.

Une rangée de candélabres de cuivre éclaire la chasse d’argent de ‘Santiago el Mayor’.

Ici se trouve le véritable but de leur pérégrination : Saluer respectueusement le compagnon de Jésus.

Les bras légèrement ouverts, les deux compagnons entonnent à mi-voix un cantique qu’ils chantaient autrefois dans leur église paroissiale.

Très impressionnés, ils quittent la crypte et rejoignent en silence un groupe de pèlerins étrangers en prière.

Quand la nuit se saisira complètement de l’espace, nos deux amis quitteront la cathédrale.

Ils se rendent maintenant dans un vaste monastère ouvert à tous pèlerins.

Demain, il leur faudra assumer toutes les promesses faites autrefois : assurer toutes les prières, recours et suppliques confiés avant leur départ par le curé du village, par leurs parents et les nombreux amis.

Ils n’oublieront pas non plus les innombrables demandes prodiguées tout le long du chemin et prononcées dans tous patois et dialectes, voir écrites sur un bout de papier : Als tubelieft, biddenvoorWij in SintJaack, s’il vous plaît, priez pour nous à Compostelle, porfavor, orar por nosostros a Santiago...

Puis ils fixeront coquille et calebasse sur leur bourdon, une autre ‘concha’ sur le bord relevé du large chapeau noir, se couvriront de la lourde pèlerine de laine bise, mettront la besace au dos, tremperont une dernière fois l’index dans le bénitier, feront une ultime prière à Saint-Jacques, implorant sa protection pour le long retour à la maison.

De bon matin, Loretta, une jeune paysanne de Salceda, ouvre les volets de sa chambre.

Elle voit passer sur le chemin pierreux, deux jeunes gaillards, bâton en main et besace au dos chantant joyeusement une ballade flamande.

L’espace d’un couplet, elle ne verra plus que deux points noirs bientôt avalés par l’horizon.

 

Charles-Henri Masson

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